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— Maintenant que vous avez vu ce qu’ils valent, dit Hono, vous pouvez continuer votre expérience, si vous en avez toujours envie. Il vous reste onze couples.
— Vous êtes extraordinaire, dit M. Gé. Je n’ai jamais eu l’intention de sauver des saints. Seulement l’Homme. Si toutefois il a envie de se sauver, lui aussi.
— L’Homme seul, dit Hono, peut-être, en effet, ça vaudrait la peine. C’est toujours de la femme que vient le péché. Le mal a commencé le jour où Dieu a donné une compagne à Adam. Sans elle nous serions encore au paradis.
— Qui sait ? dit M. Gé. De toute façon, dans l’état actuel des choses, il ne nous est guère possible de nous passer d’elle. On est parvenu à donner la vie à des enfants sans père, mais jamais sans mère…
— Mettez une équipe de biologistes à ma disposition, dit vivement Hono, et en dix-huit mois je mets la chose au point ! L’ovule n’est pas indispensable ! Deux cellules reproductrices mâles suffisent si on parvient à les unir et à les nourrir !
Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, Hono entendit rire M. Gé. C’était un rire un peu grippé. Il sortait d’un gosier qui n’en avait pas l’habitude.
— Vous voilà encore désireux de remplacer Dieu, dit M. Gé. Enfin, si cela vous amuse… Mais je crains que vous n’ayez pas le temps.
— Où en est la guerre ?
— Finie, ou presque. Vous le savez bien, ce n’était qu’une fausse alerte. Dans quelques jours, je renverrai tous ces jeunes gens. Je regrette que vous vous soyez livré à une expérience de mauvais goût, qui endeuille deux familles…
— Et vous, cria Hono, combien en avez-vous endeuillées ?
— Deux morts, dit M. Gé, c’est beaucoup. Quelques millions, ça ne se compte plus.
Ce n’était, en effet, qu’une fausse alerte. La G. M.3 allait se terminer sans avoir vraiment commencé. Quand, examinant la photo de la « patrouille », les états-majors se rendirent compte qu’il ne s’agissait que d’une troupe de pingouins, ils ne purent croire un instant que les chefs civils et militaires américains s’y fussent laissé tromper. L’explosion de la première bombe causa un instant de stupeur, suivi d’un grand soulagement. Les pingouins ne fabriquaient pas – pas encore – la bombe atomique. Tout le monde se mit à leur tirer dessus. Le Pôle Nord devint le champ de bataille. Venues de toutes les latitudes, de toutes les longitudes, les fusées porteuses de bombes A, bombes H, bombes P, bombes T, s’affrontèrent au-dessus des glaces éternelles en gigantesques explosions.
Au bout de quelques jours la preuve était faite : une telle guerre était impossible. Les Nations s’étaient montré les unes aux autres leur puissance. Chacune savait qu’elle pouvait faire souffrir les autres énormément mais qu’elle n’en souffrirait pas moins elle-même, sans être sûre pour cela, le moins du monde, d’un résultat quant à la Lune. Même si elle s’était déroulée au-dessus des Nations, cette guerre n’aurait jamais été que la guerre des déserts. Civils morts ou vivants, villes debout ou rasées, les soldats, les savants, les laboratoires, les usines restaient à l’abri sous leur matelas de terre. Chaque nation conservait jusqu’au bout ses moyens de tuer, mais ne conservait que cela, qui devenait d’ailleurs inutile, car elle ne trouvait plus rien à tuer devant elle. La bombe atomique était une colossale erreur militaire, à partir du moment où tout le monde en disposait.
Toutes les Nations surent gré aux Etats-Unis d’avoir pris l’initiative de tirer dans le vide, et quand chacune eut sauvé la face, la République d'Aquiandorra, qui avait été laissé neutre en prévision des échanges de matières premières toujours nécessaires entre belligérants, fut priée de proposer la paix. Les gouvernements firent semblant de se faire un peu prier, puis décidèrent de réunir leurs délégués à Moontown, pour préparer un Traité de Paix Universel. Il s’agissait de trouver rapidement mieux que la bombe atomique, ou d’en revenir à la baïonnette.